J.Conrad et H. de Monfreid
Deux belles plumes d'oiseaux de mer
L'un attaché à Marseille, l'autre à Leucate, l'un de la fin du XIXè siècle, l'autre du début du XXe, Joseph Conrad et Henry de Monfreid ont bien des points communs : capitaines, aventuriers et immenses écrivains dont la vocation est née après des milles et des milles.
Joseph Conrad. « Marseille, où j'ai jeté mon premier coup d'œil conscient sur le monde et la vie » a écrit Joseph Conrad. Quand, à 17 ans, il arrive de sa Pologne natale, orphelin affamé d'aventures, c'est vers le Sud et la mer que son chemin le porte. Son père lui avait parlé de la France, c'est à Marseille qu'il pose son sac, dans les derniers jours de 1874. Les bateaux !
« Certains écrivains ont été marins. Rares sont ceux qui, comme Conrad, ont été capitaines », écrit un biographe. Mais Conrad n'est pas un écrivain-navigant, c'est d'abord un marin.
En 1896, faute de trouver un bateau à commander, il écrira : « il ne me reste que la littérature comme moyen d'existence », et avouera écrire pour se nourrir. Il est des écrivains alimentaires moins talentueux ! Pour d'autres biographes, écrire est devenu une passion alternative : « c'est le cas d'un homme découvrant en soi, au cours de son existence, deux vocations, l'une au seuil de l'adolescence, l'autre en pleine maturité, toutes deux également irrésistibles, () chacune des deux passions successives a été trop impérieuse pour souffrir aucun partage. »
Pendant quatre ans à Marseille, Joseph trouve des embarquements sur des navires de commerce : le Mont Blanc et le Saint Antoine, vers les Antilles, le Venezuela, le Mexique. Il apprend le métier. Celui d'aventurier aussi. Il n'a pas vingt ans quand son bateau livre des armes à des révolutionnaires colombiens. Il poursuivra quelques temps le trafic d'armes, notamment pour un prétendant au trône d'Espagne.
Mais, en 1878, un duel pour les beaux yeux de braise d'une Espagnole l'incitera à quitter la France, à s'enrôler dans la marine anglaise et à faire de la Grande Bretagne sa patrie d'adoption. C'est là qu'il deviendra un capitaine au long cours.
On a peu de traces de Joseph Conrad en Provence. Il a détruit ses notes et carnets. Son premier domicile fut à la pension Chodzo, 9 Bd. des îles d'Or à Hyères. Il vécut aussi à Marseille et passa à Montpellier. Certains de ses romans s'inspirent de cette période : Le Frère-de-le-Côte se déroule dans la presqu'île de Giens au temps du blocus des Anglais, et La Flèche d'Or, à Marseille. On y retrouve les lieux précis qui l'ont marqué.
Henry de Monfreid. Pourquoi parler ici de ce très grand marin, plus connu pour ses aventures en Mer Rouge qu'en Méditerrannée française ? C'est que Henry de Monfreid est de Leucate, La Franqui, plus précisément. C'est là qu'il a passé sa jeunesse et qu'il a pu ressentir l'appel du large. Mais il exerce d'abord des métiers loin de l'aventure et de l'écriture : chimiste et négociant en lait. Un jour, il tombe gravement malade. Rescapé, il décide que sa vie sera ailleurs. Et différente.
Pari gagné ! En 1911, alors qu'il a 32 ans, il part pour Djibouti où il devient négociant. Là, il se fait construire un boutre, l'Altaïr, et part explorer les côtes de Mer Rouge. Trafiquant en armes et contrebandier en perles, tabac et haschich, il va se convertir à l'islam pour mieux s'intégrer à son équipage. Sa navigation n'est pas sans risque : procès, prison, amendes l'attendent jusqu'au début de la Grande Guerre, qui mettra fin à ses activités... pour le relancer vers celles d'espionnage. Il en profite pour s'éloigner de la Corne d'Afrique, vers les Indes.
Au début des années 30, il rencontre Joseph Kessel, autre grand aventurier et écrivain. Il commence à écrire : en 1932, Les Secrets de la Mer Rouge et Aventures en Mer, qui seront suivis de plus de 70 œuvres. Quand la seconde guerre éclate, il reprend ses activités d'agent secret au bénéfice de l'Italie. Au grand dam des Anglais qui le jettent en prison au Kenya. Mais il obtient un non-lieu et revient en France en 1948. Il a alors 68 ans. Il continue à écrire : Le Naufrageur, L'Homme Sorti de la Mer... toujours la mer comme muse !
Monfreid, écrivain et personnage de roman, flibustier sans loi et corsaire au service du Roy, trafiquant d'armes et de drogue, journaliste correspondant de guerre et écrivain, agent de renseignement et espion, acteur de cinéma et peintre, soupçonné de meurtre et partisan de l'expansionnisme italien en Ethiopie, sa plume n'a soulevé pour nous que quelques pans du voile. Bien des caboteurs d'aujourd'hui doivent à leurs lectures de jeunesse d'être sur un bateau !
- Christophe Naigeon

















